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Channel: Mauvaise Herbe » Mylène Bouchard
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Le bénévolat pour les nuls

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MylènePhoto

À dix-neuf ans, sur un coup de tête, j’ai acheté un billet d’avion pour un séjour de quatre mois en France. J’avais mille dollars en poche et quelques adresses dans mon carnet. J’ai d’abord erré. Les trois premières semaines. Puis, un matin, j’ai eu envie que mon voyage prenne un autre sens. Je ne m’imaginais pas vadrouiller durant quatre mois. Je me suis pointée au Resto du cœur de Chalon-sur-Saône, petite ville de province. Accueillie par Michelle, qui m’hébergera chez elle plus tard, j’ai tout bonnement lancé : « J’aimerais être bénévole. » On pouvait lire dans son regard : « D’où sort-elle celle-là ? »

Au Resto du cœur, les gens dans le besoin venaient deux fois par semaine et on leur remettait des victuailles. Mon poste, c’était le comptoir du pain.

Le soir, je revenais avec Michelle, dans la vieille ferme familiale qu’elle avait transformée en maison. Je me rendais chez sa fille et son gendre pour la traite manuelle des chèvres.

Michelle m’a, par après, expédiée chez ses ami(e)s aux quatre coins de la France.

De cela, je vais me souvenir toute ma vie.

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Je suis tombée dedans quand j’étais petite. Je ne compte plus les heures investies, données, par mes parents pour le village où ils ont vécu leur vie commune. Il ne s’agissait pas, pour eux, de passer le temps ou de se divertir. Avec quatre enfants à la maison, on peut s’étonner qu’ils parvenaient à conjuguer famille, travail et développement social, ce à quoi ils s’affairaient par les soirs de semaine.

Je revois encore mon père qui parlait au téléphone, agenda ouvert, barbouillé, clope qui fume dans le cendrier. Mairie, conseil municipal, campagnes électorales, organisation de festivals, de carnavals, de tournois de ballon-balai, de hockey, de baseball, de volleyball. Les soirs de relâche, il venait – lanceur officiel, père sans pareille – lancer à la balle à tous les enfants du village.

Je me revois accompagner ma mère à la bibliothèque, être fascinée par l’entrée de données, par la rotation des livres. Elle avait fondé la bibliothèque municipale quelques années auparavant. Tout comme le premier jardin d’enfants – Le coin des petits –, l’équivalent des services de garde d’aujourd’hui. Comité d’école, de femmes, de citoyennes. Elle prenait sa place. Une place de femme dans un monde gouverné, encore, par une majorité d’hommes. On parle des années quatre-vingt.

Ils œuvraient à développer leur communauté et tous les deux, aujourd’hui, continuent leur œuvre.

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Je conçois mieux les buts que mes parents poursuivaient depuis que je siège sur des conseils d’administration, notamment ceux de l’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie, dont je suis depuis peu la présidente, et de l’Union des écrivaines et des écrivains québécois, dont je suis la représentante des régions, nouvellement réélue.

À mon tour de donner. J’accepte ce legs de mes parents.

Cela fait cinq ans que je me présente à des réunions avec tout ce que je suis. Avec des idées de développement, d’amélioration, de valorisation, de reconnaissance. Avec le fruit de l’écoute et de la réflexion. Depuis cinq ans, j’ai plus souvent écouté que parlé. J’ai voté pour ou contre des résolutions. J’ai lu les documents qu’il fallait lire, partant souvent de nulle part, à la base ignorante, puis arrivant à synthétiser les informations dans mon esprit.

À mon tour de donner du temps. Du temps que je n’ai pas, parfois. Du temps multiplié.

Il m’importe de donner du temps de façon bénévole. Benevolus : bonne volonté.

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Siéger sur un conseil d’administration ne permet pas uniquement d’exprimer des idées ou de trouver des solutions à des problématiques, c’est aussi un exercice démocratique important. Le petit dans le grand.

L’expérience me démontre qu’il est facile de devenir un mauvais élément pour un regroupement.

Cela n’est pas donné à tout le monde d’être à l’écoute, de mettre en contexte, d’agir de manière désintéressée, d’user de diplomatie, de répartie.

Se sentir utile et faire quelque chose pour autrui ne suffit pas. Il faut regarder comment les traditions sont respectées, comment les règlements sont appliqués, comment les actions sont posées, comment les engagements sont remplis, comment les décisions sont prises et pour quelles raisons. Les bonnes raisons ? Les bons motifs ? Les bons objectifs ?

Le bénévole joue un rôle moral. Bien sûr, cela dépend de la nature du bénévolat. Or, on peut vite se retrouver avec de grandes responsabilités sur les épaules.

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Je fais du bénévolat – principalement pour les écrivaines et les écrivains et pour valoriser la littérature dans toute sa grandeur – parce que je veux faire du bénévolat. Je suis consciente qu’il n’y a pas de salaire au bout du compte. Je n’ai pas ça en tête.

Je ne me présente pas aux réunions avec l’intention de calculer mon taux horaire.

Je viens avec ce que je suis.

Au meilleur de mes connaissances.

Je me répète que je ne suis pas indispensable.

Je fais ce que je peux, à raison de deux ou trois heures par semaine. Au-delà de cela, ce n’est plus du bénévolat, c’est de la fausse représentation.

Se dire qu’on fait ce qu’on peut.

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Ce décor, que je tente tant bien que mal de peindre, se veut un appel aux gens – public cible : les jeunes adultes, dans leur vie active – qui auraient en eux cette envie d’apporter de leur savoir et de leur être à une cause ou à un organisme. Il faut le dire, les domaines d’activités sont aussi nombreux que variés : sport, loisirs, culture, humanitaire, santé, action sociale, défense des droits, défense de l’environnement, éducation. Il faut dire aussi qu’il est de plus en plus difficile de recruter de bonnes candidatures pour siéger sur les conseils d’administration. Ça ne se bouscule pas au portail…

Nos parents ont donné. La tâche nous revient de leur succéder. La grande société se bâtit à partir des plus petites décisions. Salle de spectacle, troupe de théâtre, centre de la petite enfance, associations diverses sont gérées par des conseils d’administration. Se souvenir de cela. Toujours.

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Jeunes adultes,

Je vous invite à vous multiplier.

À offrir le pain.

À lancer à la balle, après le souper, aux enfants du quartier.

À penser développement.

À tourner votre langue sept fois.

À ne jamais prononcer le mot « salaire » ou « travail ».

À laisser vos histoires personnelles à la maison.

À être un bon élément.

À prendre les engagements que vous pourrez remplir seulement.

À demeurer remplaçable.

Ne vous demandez pas ce que cela vous procurera. Oubliez les avantages et les intérêts individuels. Demandez-vous ce que, au meilleur de vous-mêmes, vous engendrerez autour de vous.


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